LE PREMIER NEGATIF PHOTO DE L’HISTOIRE –
1816. Nicéphore Nièpce réalise la première photographie ou plutôt le premier négatif photo de l’histoire. Mais cette image ne fût pas retenue, ni par l’histoire ni par le support puisque le nitrate d’argent n’avait pas encore été ajouté à la formule permettant de « fixer » ce qui ne s’appelait pas encore une « photographie ». Donc n’en parlons pas. Mais puisque c’est déjà fait ne retenons que la date : 1816, et projetons-nous en 1827, date à laquelle l’inventeur réussit pour la première fois non seulement à inscrire une image sur un support mais également à la fixer. Ouf ! Onze ans quand même ! Entre les deux, diverses tentatives baignées de chimie, dont je ne me régale pas et que je vous épargnerai donc. L’essentiel avait été trouvé, dès le début, et ce fût son génie : partir du procédé utilisé depuis longtemps par les peintres, la « Camera Obscura » (nous reparlerons de la bête), pour projeter une image afin de la peindre, mais, dans le cas de Nicéphore, se passer de pinceaux et se servir de la lumière pour dessiner le motif. « Photo-graphier » —- « écrire avec de la lumière ». Et voilà !
Bon, la chose est largement simplifiée. C’est ici un résumé plus que sommaire de l’invention de la première photographie sur une plaque de cuivre. Deux siècles ont passé, les photos en papier font rire les plus jeunes, sourire ceux du milieu, et pleurer les plus âgés. Plus de cuivre, vint le verre, différents papiers donc, plus ou moins qualitatifs, à partir de divers appareils photos et maintenant de téléphone… Si ! si ! C’est dingue ! La photographie est même passée de débuts où l’image sortait sur de grandes plaques puis sur de grands négatifs à de minuscules capteurs qui permettent de les reproduire sur de grandes feuilles… C’était bien la peine…
Mais peu importe, ce qui compte, c’est de garder le souvenir, la mémoire, de capturer les moments importants, les instants… Tiens ! Capteur, capture… Pas bête.
Donc, revenons à notre Nicéphore. Voilà ce qu’il a inventé : le temps. La possibilité de le figer. De saisir un instant, de le poser, et de le conserver. Chapeau. Alors remontons le temps jusqu’à la première ligne de ce texte, 1816, il saisit un instant mais ne peut le graver. Immense déception. Enfin j’imagine. 1827, il saisit et fixe la première image de l’histoire : « Point de vue du Gras », une vue de la cour de son domaine depuis sa fenêtre. Franchement, là, niveau inspiration ce n’était pas encore terrible. Mais bon. Quant à descendre dans ladite cour pour trouver un angle plus avantageux, c’était sans compter la difficulté de la chose. D’une part de la taille de l’appareil. Une grosse boîte noire avec un tout petit trou et une plaque de cuivre au fond. Pas pratique. Mais aussi, le temps nécessaire à la réalisation de la photographie.
Car en effet, et là il faut bien regarder parce que franchement ce n’est pas très évident, l’image montre la projection de l’ombre du soleil dans un sens, puis dans l’autre. L’ombre du soleil s’étend sur le sol de la cour dans deux directions différentes. Bizarre. Et non, (adresse aux plus jeunes) même si c’était il y a deux siècles de nous, il n’y avait déjà qu’un soleil. Alors des petits malins diront, et je les arrête tout de suite, que Nicéphore a fait une surimpression avec une image prise le matin et une autre le soir, sur la même plaque. Mais non ! Il n’était même pas sûr que ce qui devait être la première photo du monde fonctionne alors il n’en était pas encore à faire le malin avec des trucages ! Non, non, cherchez encore. Allez c’est bon, je vous le dis. Et bien c’est le temps de pose ! Voyons ! Le temps ! On y revient toujours…
La plaque de cuivre n’étant que très peu « photosensible » il a fallu un temps extrêmement long pour parvenir à inscrire l’image sur le support. Estimé entre huit à dix heures, cela a permis au soleil de faire le tour de la cour afin d’y projeter son ombre une deuxième fois. Malin le soleil. Presqu’autant que Nicéphore. Parce que Monsieur Nièpce lui n’avait pas vraiment d’autre choix que celui d’utiliser le temps. Et chaque fois que nous prenons une photographie nous avons besoin de temps pour écrire l’image. C’est ainsi. Mais à l’époque pas de procédé mécanique permettant de régler la taille du trou de la « caméra obscura » (le diaphragme de l’appareil pour les intimes), encore moins de rendre plus sensible la plaque de cuivre (augmenter le nombre de Iso pour les mêmes). Alors du temps, du temps, et encore du temps. Donc huit, dix, douze ? quatorze ? De nouvelles évaluations ont été faites et porteraient le temps de pose à plusieurs jours. Qui croire ? Moi. Parce que ce qui compte ce n’est pas tant le nombre d’heures et de jours mais bien celui passé entre la première photo non révélée et la seconde qui le fut enfin. Le temps passé entre le moment où Nicéphore a enlevé la plaque devant le minuscule trou de la « Camera Obscura » et celui où il l’a remise. Puis le temps passé à révéler l’image, la fixer, à la capturer.
Et moi tout ce temps a tendance à me reposer. A me faire regarder celui qui passe autour de moi de manière différente. A relativiser dirait ce coquin d’Einstein, sacré Albert !
Petit exercice pour ce week-end : prendre quelques photos, pas trop, disons 12, mais ne les regarder que lundi. Juste 24 ou 48 heures d’attente. Un tout petit effort. Pour remercier Nicéphore de son invention, et votre cerveau vous remerciera de l’avoir laissé imaginer ce que donneront vos images.
Autre exercice, à faire sans appareil, pourquoi pas avec de la musique, les mains sous la tête et les pieds sur la table du salon : sélectionner une image, une seule, en choisir une, parmi celles qui vous viendront lorsque vous essaierez d’imaginer quelle fut la première image de Nicéphore, en 1816, celle que l’histoire n’a pas gardée.